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L’option du conjoint survivant et la possible « mise en veille » des droits des enfants

L’évolution des structures familiales avec une plus grande fréquence des familles recomposées impose aux conjoints de réfléchir à l’option qui est la plus adaptée aux objectifs du couple et à la configuration familiale. Une meilleure protection des droits du conjoint survivant passe entre autres par la donation entre époux, institution contractuelle permettant d’opter entre des quotités offertes par l’article 1094-1 du Code civil (quotité disponible ordinaire, usufruit de toute la succession ou un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit de la succession).

L’option du conjoint survivant pour l’usufruit de toute la succession peut entraîner une mise entre parenthèse des droits des enfants, ce qui peut s’avérer plus difficile en présence d’enfants non communs. 

De fait, dans ce cas, ces derniers peuvent se retrouver astreints à subir l’usufruit de leur beau-père ou belle-mère toute leur vie durant.

Fort heureusement, il existe des moyens de protéger les héritiers réservataires. 

Aux termes de l’article 1094-3 du Code civil, « les enfants ou descendants pourront, nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger, quant aux biens soumis à l’usufruit, qu’il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu’état des immeubles, qu’il soit fait emploi des sommes et que les titres au porteur soient, au choix de l’usufruitier, convertis en titres nominatifs ou déposés chez un dépositaire agréé. »

Les mesures de droit commun destinées à protéger les droits des nus propriétaires, telles que prévus aux articles 600 et suivants du Code civil peuvent en principe être écartées dans l’acte constitutif de l’usufruit. 

Toutefois, dans le cadre d’un usufruit résultant de la donation entre époux, les règles figurant à l’article 1094-3 du Code civil sont impératives, leur caractère d’ordre public permet la protection de la réserve héréditaire. Aucune dérogation n’est donc envisageable. 

Malgré ce caractère d’ordre public, des difficultés de préservation des droits des enfants sont plus importantes lorsque la succession n’est composée que de liquidités. Une attention particulière doit également être portée sur les parts sociales démembrées composant la succession. 

  • Hypothèse de la succession composée exclusivement de liquidités

En droit commun, s’il est dispensé de faire emploi, l’usufruitier bénéficie sur les biens « consomptibles par le premier usage » d’un quasi-usufruit. Il peut alors en disposer à charge pour lui (ou pour sa succession) de restituer, en fin d’usufruit, des biens de même nature ou de leur équivalent en valeur (article 587 du Code civil), ce qui ramène les nus propriétaires au rang de créanciers de restitution à terme. 

Cependant, lorsque la réserve est en jeu, les enfants peuvent imposer au conjoint gratifié l’emploi des sommes pour exiger qu’elles soient investies sur un bien non consomptible par le premier usage (un immeuble, un portefeuille de titres, etc…) sur lequel se reportera alors un démembrement ordinaire.

Ainsi donc, seul l’héritier peut décider de consentir un quasi-usufruit en renonçant à l’obligation d’emploi. Dans ce cas, il est nécessaire de régulariser une convention de quasi-usufruit avec une rédaction minutieuse des clauses spécifiques. Il en va de même des clauses des statuts de société relatives aux parts démembrées. 

  • Hypothèse de la succession composée de parts sociales 

Le décès d’un associé peut conduire à une situation d’indivision entre les héritiers qui peut se conjuguer avec un démembrement de propriété lorsque le conjoint survivant opte pour la totalité des biens en usufruit. 

Ainsi, les enfants sont indivis sur la nue-propriété des parts sociales, le conjoint survivant recueillant l’usufruit. Dans la pratique, il est impératif que soient clairement précisées les prérogatives et répartitions des droits de chacun.

En matière de démembrement du droit de propriété, l’usufruitier détient l’usage et le bénéfice des fruits du bien, tandis que le nu-propriétaire détient le droit de disposer du bien. Lorsque ce démembrement porte sur des parts sociales, le droit de vote est attribué à l’un ou à l’autre selon les cas, étant précisé que des aménagements peuvent être faits dans les statuts.

L’éclatement des prérogatives décisionnelles et financières entre usufruitier et nu-propriétaire rend parfois la gestion de l’entreprise très délicate : l’usufruitier voudra une distribution de dividendes… que le nu-propriétaire a intérêt à capitaliser.

Aux termes de l’article 1844 alinéa 3 du Code civil, « si une part sociale est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux décisions collectives. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier. 

Les statuts peuvent déroger aux dispositions [relatives à la répartition du droit de vote portant sur les décisions collectives]. »

Ainsi, pour les parts de la société civile grevées d’un usufruit, le droit de vote appartient, en principe, au nu-propriétaire, sauf pour les décisions relatives à l’affectation des bénéfices pour lesquelles c’est l’usufruitier qui est appelé à voter. 

En ce qui concerne le droit des sociétés par actions, l’article L. 225-110 du Code de commerce dispose quant à lui que : « le droit de vote attaché à l’action appartient à l’usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires ».

A l’évidence donc, la gouvernance de la société court le risque d’être éclatée entre titulaires de droit aux intérêts divergents. 

Cependant et peut être heureusement, les conventions contraires sont possibles.

Les statuts peuvent donc aménagés la répartition des droits démembrés, les droits de l’usufruitier étant généralement renforcés et augmentés au détriment du nu-propriétaire. 

En tout état de cause, et même lorsque l’intégralité des droits de vote est reconnue à l’usufruitier tant en assemblée générale ordinaire qu’extraordinaire, la jurisprudence constante précise que le nu-propriétaire doit est convoqué à toutes les assemblées et qu’il a le droit d’y participer, en émettant par exemple un avis consultatif. Cette participation permettra ainsi au nu-propriétaire de faire sanctionner en justice tout abus de jouissance conformément à l’article 618 du Code civil. 

La rédaction des statuts apparaît donc fondamentale, ceux-ci pouvant par exemple prévoir que certaines décisions seront prises conjointement avec le ou les nus propriétaires, notamment en cas de fusion, transformation, scission etc…

L’intervention d’un professionnel en amont s’avère indispensable afin de rechercher l’équilibre le mieux adapté à la situation et à la volonté des familles. Le Cabinet DGP AVOCATS se tient à votre disposition à cette fin.